Léopold à Hollywood

Je me souviens des films qui ont marqué mon enfance. J’aimais particulièrement les westerns.  J’avais de la sympathie pour les Indiens, mais le héros était toujours un cowboy, un homme blanc de moins de cinquante ans à la démarche chaloupée. Des images me reviennent. Je vois les tuniques bleues, le froufrou des filles du saloon, le soleil du Nevada, un chérif qui somnole sur une chaise bancale, Billy the Kid, Jessy James, Big John et tant d’autres. J’avais la panoplie du parfait cowboy. C’était l’époque où je chaussais du 38.

Hollywood aime revisiter l’histoire. Faire une version amère ou édulcorée de la vérité. C’est divertissant. On se rappelle les films sur la guerre du Vietnam ; ça donnait presque envie d’y aller. Pour une fois, j’appréhende sa nouvelle cuvée. Sous le regard acerbe de Ben Affleck, nous iront bientôt faire un tour du côté du Congo léopoldien. Je sais que j’aurai de la sympathie pour mes compatriotes congolais. Cette fois-ci je crains qu’il ait un bourreau ventru et barbu à la place du héros blanc traditionnel, pas de scalpes mais des mains coupées, pas de whisky mais du sang sur les lianes. Une enquête à charge, sans nuance. Bien avant sa parution, ce film dégage une odeur de réquisitoire. Il fallait s’y attendre. La nature a horreur du vide. Comme les manuels scolaires se sont tus sur la colonisation, Hollywood va bientôt en parler.

Que le spectacle commence ! Le méchant est connu d’avance. Le décor sera la forêt équatoriale, le fleuve Congo, les peuples bantous. Sur grand écran, des millions de morts feront le plus bel effet. Surtout ne parlons pas des maladies endémiques, ni des guerres tribales. La mort n’est causée que par un seul homme, un roi juché sur son cheval, arrogant comme une statue équestre.

Hollywood exagère. Léopold II n’était pas le mal absolu, mais tout n’est pas faux. Le travail forcé a bel et bien existé. Des familles entières étaient prises en otage pour que les hommes partent au travail. La chicote pour convaincre les récalcitrants et les fainéants. Quelques viols pour se détendre. Le Congo était un gouffre financier par manque d’infrastructure, il fallait le rentabiliser à tout prix et profiter du boom du caoutchouc. L’industrie automobile naissante en redemandait.

Nous verrons bien si ce film replacera les choses dans leur contexte. La situation des autres colonies ne sera sûrement pas évoquée. Léopold II était-il pire que les monarques de son époque, Guillaume II et la reine Victoria ?  N’assistons-nous pas à un remake de la guerre larvée entre francophones et anglophones ?

J’espère que ce film sur le passé ne va pas occulter le présent, l’actualité tragique du Kivu, la demande effrénée pour le cobalt et le coltan avec en toile de fond ce peuple congolais qui n’en finit pas de souffrir. En attendant une quelconque amélioration, Hollywood nous fera encore la leçon. Cette tragédie rapportera des millions de dollars. Comme les gens ne lisent plus, ce futur film -au succès garanti- fera peut-être office de vérité historique.